Les amis de la bibliothèque

Je ne suis pas particulièrement adepte des uchronies. Souvent elles m’apparaissent un peu gratuites mais quand, comme dans ce roman, elles permettent de remettre en perspective l’histoire alors comment ne pas se prendre au jeu ?

L’histoire nous paraît souvent comme une donnée figée dans le sens où les événements sont advenus parce qu’il ne pouvait en être autrement. Libre à nous de le penser mais à partir du moment où cela influe sur notre vision de l’avenir cela peut devenir problématique. L’avenir n’est pas certain ! Il faut le voir aussi comme une succession d’accidents.

Et dans ce roman justement à partir d’un déplacement imperceptible Laurent Binet nous montre que tout peut basculer. Le point de départ : les vikings. Effectivement on sait maintenant de manière certaine qu’ils ont pris pied dans ce qui deviendra l’Amérique du Nord. Malheureusement pour les autochtones si l’on peut dire ils ne leur ont pas transmis le virus de la variole. Beaucoup seraient morts à l’époque comme au XVIème siècle mais au moment où la grande invasion européenne serait arrivée, les peuples autochtones seraient devenus résistants à ce virus et le cours de l’histoire en aurait été bouleversé. C’est en partant de ce postulat que l’auteur nous déroule une autre histoire qui semble aussi plausible que la réelle. Juste un bémol au passage… si les peuples d’Amérique étaient dans l’impossibilité de nous décimer en important une maladie quelconque, auraient-ils pu aussi facilement nous vaincre ?

Ce récit est fort bien mené. J’ai particulièrement apprécié qu’il ne fasse pas table rase de tout ce qui s’est réellement passé et qu’il mêle à la fiction les hommes et les œuvres de la « vraie » histoire. Le lecteur s’amuse ainsi à retrouver ou à découvrir parfois les vrais acteurs et les vrais événements sous la fiction. Certains s’étonneront de ne pas retrouver une description plus poussée de la société Incas mais après tout, est-ce qu’un chroniqueur espagnol comme Las Casas qui écrivait pour des espagnols s’est amusé à faire la recension des mœurs hispaniques en décrivant celles des indiens ? Certes non. Comme l’auteur adopte le point de vue d’un Las Casas indien comme narrateur c’est assez bien vu.

Un des autres plaisirs éprouvés à la lecture du roman c’est la description de nos mœurs et de nos croyances vues par des étrangers. Laurent Binet a su mettre en situation son narrateur comme s’il découvrait un nouveau monde tel que nous européens avons pu le faire au XVIème siècle et c’est très convaincant bien qu’évidemment pure fiction impossible à vérifier.

La multiplicité des formes de récit : chroniques, journal de bord, correspondances… donne beaucoup de dynamisme à l’ensemble. On a l’impression de lire une saga alors que le roman est relativement court.

J’ai donc beaucoup apprécié cette lecture qui n’est jamais ennuyeuse.